Controverse autour de l'Africom Daniel Gordon
BBC World Service
Le commandement de l'Africom - une unité conçue pour diriger toutes les opérations militaires américaines en Afrique - a été officiellement mis en place ce mercredi.
Même si, pour l'heure, la structure reste basée en Allemagne, l'idée de l'implantation d'une force américaine de cette ampleur sur le sol africain a suscité des réactions hostiles dans plusieurs pays du continent.
Des informations clés sur le mode de fonctionnement de cette structure restent floues.
Par exemple, le lieu où sera installé le QG de l'Africom sur le continent africain n'a pas encore été choisi.
Et le fait que tant de zones d'ombre subsistent autour du projet américain alimente de nombreuses spéculations, voire une certaine méfiance quant à sa raison d'être.
De son côté, l'administration Bush insiste sur le bien-fondé de l'initiative.
Selon le sous-secrétaire américain à la Défense, Ryan Henry, il s'agit simplement d'un redéploiement de quelques centaines de personnes.
"Le Commandement régional pour l'Europe, le Commandement Central, ainsi que le Commandement régional pour le Pacifique s'occupent tous de l'Afrique", a-t-il expliqué.
"Ce que nous essayons de faire, c'est de soumettre la région Afrique à l'autorité d'un seul commandant, afin que nous puissions avoir quelqu'un qui travaille avec les Africains au jour le jour, au lieu de trois commandants différents qui ont chacun à son niveau, d'autres types de priorités relatives à leurs régions."
Selon le président Bush, l'Africom contribuera non seulement à renforcer la sécurité en Afrique, mais aussi à promouvoir le développement, la santé, la démocratie, l'éducation et la croissance économique du continent.
"Une société militarisée"
Mais tout le monde ne partage pas cette opinion.
Salim Lone, éditorialiste dans un quotidien de Nairobi, estime ainsi que la création de l'Africom est un tournant majeur dans la politique étrangère des Etats-Unis, ajoutant que le fait que le président Bush présente l'initiative comme une panacée pour l'Afrique, prouve que, à moyen terme, le seul engagement des Américains vis-à-vis des Africains est d'ordre militaire.
"Nous nous dirigeons vers une société militarisée", dit-il en substance.
"Les militaires vont maintenant œuvrer aux côtés de la société civile, pour promouvoir la santé et l'éducation."
"Les efforts du continent en matière de développement seront menés sous la lorgnette du Pentagone.
"L'Afrique n'a pas besoin d'être militarisée, nous n'avons pas besoin de la sécurisation de l'aide et du développement."
Influence indienne
Salim Lone est convaincu que les Américains n'ont pas pour objectif le développement, mais le contrôle des ressources, telles que le pétrole, le bois, le cobalt et l'uranium.
Le journaliste kenyan n'est pas seul à être méfiant vis-à-vis de l'initiative américaine.
Le Maroc, l'Algérie et la Libye auraient tous refusé de répondre favorablement à la demande américaine de baser le centre de commandement sur leur sol, tandis que l'Afrique du Sud s'emploie activement à décourager ses voisins de soutenir l'idée.
Helmut Heitman, le correspondant en Afrique du Sud de Jane's Defence Weekly, l'hebdomadaire d'informations stratégiques et militaires londonien, est moins sceptique.
Il considère qu'il faut, du moins pour l'heure, accorder aux Américains, le bénéfice du doute.
"Ce qu'ils disent pour l'heure, à savoir que le projet a pour but de porter assistance et d'assurer la formation, est probablement vrai", estime-t-il.
"Ils en sont encore à la phase de réflexion. Je ne les vois pas se précipiter sur le continent, avec d'importantes unités combattantes, ou quoi que ce soit du genre. Il s'agit d'un exercice de rapprochement qui devrait être étendu, en cas de besoin."
Toutefois, Helmut Heitman ajoute qu'il pourrait s'agir d'un moyen de contrer l'influence grandissante de la Chine sur le continent, de même que, éventuellement, celle de l'Inde.
Selon lui, les oppositions exprimées par les Africains s'expliquent surtout par un souci de souveraineté.
Toutefois, tous les pays africains ne sont pas opposés à l'initiative Africom.
Un grand nombre de pays attendent d'avoir plus d'informations sur le projet avant de s'exprimer sur sa viabilité.
Pour sa part, le Liberia s'est déjà porté volontaire pour abriter le siège de l'Africom.
La présidente Ellen Johnson-Sirleaf l'a qualifié de "modèle pour l'avenir."
Brett Schaeffer, spécialiste de l'Afrique à la fondation Heritage, à Washington, estime quant à lui que les oppositions au projet américain sont liées à un déficit de communication, imputable à l'administration américaine.
"Le fait que les Américains ont tellement hésité avant d'annoncer les détails du projet a poussé les gens à combler ce vide en matière d'informations par des théories criant à la conspiration, et qui n'ont pas forcément de fondement", affirme-t-il.
"Tout ce que les Etats-Unis peuvent faire, c'est expliquer clairement le rôle qu'ils comptent assigner à l'Africom, qui pour moi est une initiative positive."
Par ailleurs, Helmut Heitman ajoute que les Etats-Unis ne sont pas la seule puissance étrangère qui essaie d'accroître son influence dans la région ; selon lui, la différence entre Washington et les autres puissances, c'est que ces dernières cachent mieux leur jeu.
"Je pense que la Chine, l'Inde, et à un moindre degré, le Brésil, vont essayer de renforcer leurs intérêts en Afrique", estime-t-il.
"Mais ils ne le feront pas aussi ouvertement que les Américains. Ils interviendront de manière indirecte sur le plan militaire, en soutenant les gouvernements qui leur sont favorables, l'opposition ou encore les seigneurs de guerre."